EMPORTÉS  PAR  LE  COURANT
par  40m  de fond

récit de Claude Le Duigou

 

Ploumanach (Bretagne) - dimanche 3 juin 1973 - 11 h 30

ploumanach            ploumanach            ploumanach
La crique et la rampe d'accès du canot de sauvetage de Ploumanach par marée haute

 

Après quatre jours passés à encadrer les débutants du club Galatée de Meudon
notre récompense est "la plongée moniteurs" entre cadres.

 

Plongeurs :

claude le duigou dit pepe
Claude Le Duigou
(Pépé)
Patrick Albrecht
Patrick Albrecht
Marcel Philippeau
Marcel Philippeaux
Le Bihan
Gérard Le Bihan
claude lapeyre
Claude Lapeyre

 

Naturellement, c'est Claude Lapeyre, notre "stagiaire" de chez Cousteau
qui prend la tête de cette palanquée (lire: l'équipe Cousteau à l'entraînement).
Il choisit Patrick Albrecht, un excellent plongeur, comme serre-file,
et demande à Gérard Jougier de nous larguer au large de la crique sur un fond de 40 m.

carte ploumanach
En rouge: le trajet en zodiac
En violet: le début de notre dérive sous l'eau.

lcrique de départ
La rampe du bateau de sauvetage de Ploumanach à marée basse et le point de largage

Habituellement, avec nos élèves plongeurs nous sortons très peu de la crique.

Aujourd'hui: beau temps, mer calme, marée descendante.
Gérard Jougier nous largue à environ 800 m au large de la sortie de la crique.
Aussitôt à l'eau, après un signe "OK", Claude pique, tête en bas, en forçant sur ses palmes.
Nous le suivons, comme des bombes, non pas "dans le bleu" comme en Méditerranée,
mais dans le vert de cette mer bretonne, plutôt fraîche, et qui s'assombrit de plus en plus.
On ne sait pas ce qu'on va trouver en bas...

Arrivés au fond, dans une eau assez claire, le profondimètre marque 42 m.
Nous sommes pris dans un courant très violent. Impossible de s'agripper à quoi que se soit.
Nous nous regroupons et nous mettons à l'abri d'une énorme roche.
Ahuris, nous regardons passer des laminaires arrachées, rouler des galets de toutes tailles,
emporter des tourteaux, des coquilles Saint Jacques et autres coquillages.
C'est un véritable fleuve sous-marin qui coule sous nos yeux.

Après quelques exercices classiques, je vois Claude décapeler son bi-bouteille,
nous demander d'en faire autant, avant de s'élancer dans le courant.
Nous nous laissons emporter, tels des grains de sable portés par le vent,
les bouteilles tenues devant nous, tels des scooters sous-marins.
Le paysage est impressionnant: nous survolons, ou contournons, des roches identiques
à celles qu'on peut voir à terre, ces fameuses roches de granit rose de Ploumanach.
Entre elles, sur fond de graviers, une faune variée, bousculée, nous accompagne:
tantôt, un congre emporté, tantôt une araignée enchaînant tonneaux sur tonneaux...
Sans un seul coup de palme, en quelques minutes, nous parcourons près de un kilomètre et demi.

Pour mettre fin à notre équipée, Claude se dirige vers une grande roche derrière laquelle nous nous posons.
Après avoir recapelé nos bouteilles, le signal de la remontée est donné.
On se tient, les uns les autres par la ceinture pour ne pas être dispersés par le courant.
Nous effectuons nos paliers (6 minutes) en pleine eau, toujours en nous tenant et en dérivant encore vers l'Ouest.

Une fois en surface: grand soleil, mer calme, un peu de houle, courant bien plus faible.
Bien sûr, le bateau n'est pas là pour nous récupérer.
Nous l'apercevons, bien loin dans l'Est... Il est resté à tourner au large de la crique.
Pour lui, nos têtes ne représentent que cinq petits points sur la mer.
À plus d'un kilomètre, nous sommes pratiquement invisibles.

Claude nous demande alors de gonfler à fond nos bouées et de nous aligner épaule contre épaule
afin de constituer une énorme tache orange bien visible de loin.

bouées

En effet, au bout d'un moment, nous voyons le bateau grossir.
Il fonce, droit sur nous. Il a vu la tache orange.
Cela aurait-il été possible avec les gilets d'aujourd'hui?

gérard jougier
Gérard Jougier en surveillance

Gérard Jougier, soulagé, nous récupère et nous ramène vers la crique.
Il s'est inquiété lorsque les bulles ont disparu, mais il a assuré et a su nous retrouver.

Commentaires de Claude Lapeyre :

Je me souviens très bien de cette plongée.
Nous sommes descendus très vite jusqu’à 35m.
Dès que je vois le fond apparaître, je me retourne et je demande à tous de se stabiliser.
Tout en nous laissant couler sur les derniers mètres, je vois le fond défiler à une vitesse folle.
Afin d'éviter d'être emporté, je me réfugie avec toute la palanquée, derrière une grosse roche.
Je demande à mes compagnons d'exécuter entre eux quelques exercices classiques
du genre passage d'embout, vidage de masque...

C'est un pretexte pour me laisser le temps de réfléchir.
Car j'ai besoin de réfléchir.
Que faire? Annuler la plongée? ou négocier avec ce courant?
Nous sommes à 42m et je regarde nos bulles partir à l'horizontal.
Il est donc sûr, qu'en surface, Gérard Jougier a perdu nos bulles et qu'il ne sait plus où nous sommes.
Mais je sais aussi qu'il peut nous retrouver, comme il l'a déjà fait il y a un peu plus d'un mois, à Marseille
lors d'une plongée profonde aux "Empereurs" de l'île de Riou (lire: première narcose à 60 m) .
Si nous continuons, je sais que nous devrons faire nos paliers en pleine eau, sans bouteille de sécurité.
Je sais que nous sortirons loin du bateau et qu'il faudra trouver le moyen d'attirer son attention.
Un coup d'oeil à la boussole m'indique que ce courant pousse vers l'Ouest,
vers les petites plages de Ploumanach que nous pourrons éventuellement gagner à la palme,
si le bateau, au pire, ne nous retrouve pas.
la dérive vers Ploumanach
Tout cela ayant été bien pesé, je décide de lancer tout le monde dans le courant,
sachant que nous allons vivre des moments forts en émotions avec cette sensation de voler
sans effort au-dessus d'un relief tourmenté, monter, descendre, sur la simple orientation de
nos bouteilles tenues à bout de bras devant nous comme des scooters sous-marins.
La suite est très bien racontée par Claude Le Duigou.

Conclusion:
J'ai très souvent était confronté au courant.
Souvent sans le vouloir, sans pouvoir faire autrement
(lire: le tunnel sans fin).
Souvent volontairement,comme lorsqu'on plonge dans la passe d'un atoll, courant rentant,
où la pratique habituelle est de se laisser porter jusqu'au lagon aux eaux sans courant.

Bref: ne jamais lutter contre le courant.
Sinon, c'est l'essoufflement assuré qui conduira à la noyade.


 

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