L'équipe Cousteau à l'entraînement (en 1972)

 

Récit de Claude Lapeyre

Albert Falco
Albert Falco
Christian Bonnici
Christian Bonnici

André LabanAndré Laban

Paul Zuena
Paul Zuena
Bernard Delemotte en 1972
Bernard Delemotte
Claude Lapeyre
Claude Lapeyre


C'est en 1972 que j'ai réalisé mon rêve d'enfant:
monter sur la Calypso et plonger avec son équipe.

la Calypso

 

 

Comment cela a-t-il été possible?

le plastiphot
Claude Lapeyre avec le Plastiphot

En mars 1972, je présentai mon premier film sous-marin "Pourquoi la plongée?" dans un club de Marseille.
C'était un court métrage tourné avec
une caméra amateur Beaulieu 8mm placée dans un Plastiphot.

 

André Laban, membre de l'équipe Cousteau était dans la salle.
Il fut impressionné par le résultat obtenu avec un tel matériel et m'invita à venir visiter la Calypso en escale à Marseille.

 

Au cours de la visite, je demandai comment les plongeurs étaient recrutés, Albert Falco me dit qu'il fallait passer des tests.
Je m'empressai de poser ma candidature et le lendemain, je passai les fameux tests (voir ci-dessous).

le plastiphot
Le Plastiphot était composé d'un sac en plastique muni d'un hublot.
Il était fermé hermétiquement par un gant qui permettait de manoeuvrer
tous les boutons de n'importe quel appareil photo ou caméra.

  

Les tests d'aisance dans l'eau:

Alors que je m'équipais, avec mon propre matériel, Christian Bonnici,
chef plongeur et responsable de la plongée du jour, me déclare d'un ton un peu sec:
"Non, monsieur, vous ne prendrez pas votre bouée Fenzy".
"Et comment fait-on pour s'équilibrer? répliquai-je, un peu vexé.
La réponse tombe comme un couperet:
"Ici, personne n'utilise de Fenzy; vous devez connaître votre lestage.
Nous n'utilisons pas de bouée parce que ce n'est pas esthétique sur les films!
Tous ces tuyaux de partout, c’est moche.
Si vous n’êtes pas capable de plonger sans Fenzy, les tests s’arrêtent là."

Pour moi, il n'était pas question d'abandonner si vite.
Je retirai donc ma fenzy et la moitié des plombs de ma ceinture.



 

pas de fenzy chez Cousteau
Pas de Fenzy
chez Cousteau

 

 

Une plongée test avec Christian Bonnici:

Christian Bonnici organise la plongée:
elle se déroulera sur l'épave du Liban,
à une profondeur d'environ 35 mètres.

Je me garde bien de dire qu'il s'agit là de ma première plongée sur épave.
Je n'ai d'ailleurs que 136 plongées à mon actif, ce qui est ridicule, en regard de l'expérience des professionnels qui m'entourent aujourd'hui.

Il me précise qu'il ne tient pas compte de mes brevets de plongée, ni de ce que j'ai pu apprendre dans les clubs de la FFESSM:
"Ici, nous avons nos règles et durant cette plongée, je vous demande de faire comme moi. Si vous réussissez, nous verrons pour la suite."

Et c'est vrai que je ne savais pas ce qui m'attendait !

Christian Bonnici

Christian Bonnici en 1972
un chef plongeur exceptionnel,
un peu rude, mais efficace
avec un grand coeur.
J'ai beaucoup appris avec lui.


épave du Liban
L'épave du Liban en 1972

sur le Liban

 

Nous descendons dans une eau froide, pas très claire.

Arrivé à l'épave, vers 35 m de profondeur, Christian Bonnici s'agenouille sur le pont du Liban, et m'invite à faire des exercices classiques tels que "passage d'embout" ou "vidage de masque".

Puis, me demandant de ne pas bouger, il retire ses bouteilles, les pose sur le pont, ferme le robinet d'air et part en apnée parmi les ferrailles et tôles coupantes, choisissant parfois des passages bien étroits. Il s'éloigne jusqu'à la limite de la visibilité.
De retour à ses bouteilles, il ne s'arrête pas; il les survole, et va contourner un reste de mât un peu plus loin, avant de revenir enfin ouvrir le robinet, reprendre de l'air et recapeler ses blocs.
Aller-retour: un parcours d'environ une trentaine de mètres.

Nous nous retrouvons, face à face, à genoux.
Il me regarde droit dans les yeux, et me fait signe: "à vous".

Je n'ai jamais évolué en apnée à une telle profondeur.
Je sais que c'est le poids  des bouteilles qui me fait tenir au fond en compensant la flottabilité de la combinaison de néoprène; mais je sais aussi qu'à cette profondeur, cette même combinaison est complètement écrasée par la pression et que sa flottabilité devient négligeable.

À peine deux secondes de réflexion, et je m'exécute.
J'effectue les mêmes gestes que Christian Bonnici, le même parcours, avec au retour le passage sur les bouteilles (ce qui m'aurait permis de m'arrêter là si j'avais été à bout de souffle), affectant de ne pas me presser, de garder des gestes lents et un palmage ample.

Test réussi, je me retrouve face à Christian Bonnici qui m'adresse un signe OK et me propose alors une visite de l'épave, pour mon plus grand bonheur, car comme je l'ai dit plus haut, c'est ma première épave.

Depuis, j'y suis revenu souvent à titre personnel; mais ça, c'est une autre histoire...

sur le Liban

en apnée sur le Liban

 

position de l'épave

Le Liban est un paquebot de 91 mètres de long
coulé à la suite d'une collision avec un autre navire près de l'île Maïre.

emplacement de l'épave

 

 

 

 

 

Une plongée test avec Bernard Delemotte:

C'est Bernard Delemotte qui est chargé de me tester en plongée profonde (entre 50 et 55 m).
L'endroit choisi est l'ilot de Tiboulen du Frioul.

C'est un magnifique tombant couvert de gorgones que nous ne prenons pas le temps d'admirer. Nous ne sommes pas là pour faire du tourisme. Il s'agit pour Bernard Delemotte de voir si je suis sensible à la narcose (ivresse des profondeurs).

Il essaie donc de me "saouler" en descendant comme une bombe, tête en bas, bien verticalement, en palmant à fond. Je le suis à moins d'un mètre, en forçant sur mes palmes. Nous stabilisons à 45 m de profondeur, à la limite de l'essoufflement. Après l'échange des signes OK, nous nous laissons couler calmement jusqu'au sable, à 50 m, histoire de retrouver une respiration normale. Alors se suivent des exercices sensés prouver que je suis lucide et que je réponds correctement aux sollicitations.

Bernard Delemotte en 1972
Bernard Delemotte en 1972
îlot Tiboulen du Frioul
îlot Tiboulen du Frioul
le tombant de Tiboulen du Frioul
Le tombant de Tiboulen du Frioul

Au pied du tombant, nous suivons le sable qui descend en pente douce.

Vers 55 m se trouve un champ de vaisselle plus ou moins cassée, jetée là lors de la grande peste qui ravagea Marseille en 1720.

En fouillant un peu, nous trouvons quelques poteries intéressantes.

Les bras chargés, voilà une épreuve supplémentaire à la remontée (n'oubliez pas que chez Cousteau, il n'y a pas de Fenzy, qu'il n'est donc pas possible de s'équilibrer en cours de plongée, ni de s'aider de la bouée pour remonter une charge).

Avec les bras chargés: paliers de 2mn à 6m, et 12mn à 3m.

                  pot                      pot

 

 

Tests réussis, je participe à l'entraînement quotidien sur l'Espadon.

l'Espadon et la Calypso
La Calypso (ci-dessus ancrée à Marseille) est réservée aux missions lointaines.
L'Espadon (à gauche) est utilisé pour l'entraînement quotidien.

 

En 1972, les îles du Frioul, en face de Marseille, étaient quasi désertes.

Frioul en 1972

C'est un terrain d'entraînement privilégié pour les plongeurs de l'équipe Cousteau.

 

le port de Marseille au XVII° et XVIII° siècles
Le port de Marseille au XVIII° siècle

Tous ces grands navires passaient plusieurs jours, parfois des semaines,
en attente dans ces criques et calanques des îles du Frioul.
Sur ces lieux de mouillage nous avons trouvé dans le sable des objets variés
dont de magnifiques pipes en terre (voir ci-dessous).

équipe Cousteau à l'entraînement
Exemple d'entraînement mené le 05.04.1972 par Albert Falco:
Quatre plongeurs sont en attente tous les 5 mètres, le long d'un bout.
L'exercice consiste à descendre en apnée le long de ce bout
en se ravitaillant en air à chaque étape, en faisant un passage d'embout.
Passé le dernier plongeur à 20m, après une dernière inspiration,
il faut aller chercher une balise posée sur le fond, à 25m,
et remonter avec, directement à la surface, en apnée, sans s'arrêter.
Le suivant aura pour tâche de redescendre poser la balise à 25m.

pipe en terre
pipes en terre

pipe en terre

pipe en terre

 

À bord de l'Espadon, en avril 1972, l'équipe se prépare à plonger dans la "calanques aux pipes" (photos Claude Lapeyre)
équipe Cousteau en 1972                                      équipe Cousteau en 1972
On reconnait Bernard Delemotte (qui met sa cagoule), Albert Falco et Paul Zuena (bonnet rouge).

 

                                                                     Quelques réflexions de Claude Lapeyre:
Ce bref passage au sein de l’équipe Cousteau a été marquant pour moi. J’ai rencontré des plongeurs exceptionnels, infatigables, disciplinés, avec des règles de vie simples, mais exigeantes, indispensables pour assurer une bonne cohabitation à bord. Ainsi, j’ai été surpris de constater que tout le monde se vouvoyait. Des plongeurs qui se connaissaient depuis quinze ans et plus, qui plongeaient ensemble tous les jours se vouvoyaient. Je n’en croyais pas mes oreilles. Moi qui arrivais des clubs de plongée où tout le monde se tutoie, j’entendais Albert Falco dire « vous » à André Laban ou à Paul Zuena, le bosco irremplaçable de l’équipe. Je compris très vite que cette règle avait été imposée avec raison, par Cousteau lui-même. Ce vouvoiement induit un respect, voire une certaine distance, une distinction un peu anglaise qui évite bien des débordements verbaux. J’ai donc moi aussi vouvoyé tout le monde. J’ai eu de longues conversations avec Albert Falco, un homme d’une grande modestie et d’une extrême gentillesse (il me fit le récit d’une plongée très profonde que je rapporte sur cette page). Je me demandais pourquoi il nous avait fait faire autant d’exercices en apnée. Je compris plus tard, combien la plongée en apnée avait une grande place chez Cousteau : l’approche de certains animaux pour ne pas les effrayer avec les bulles, la mise à l’eau et la récupération de la soucoupe plongeante et des puces, l’échange de scaphandre en plongée pour entrer et sortir des maisons sous-marines, etc… Cela se voit très bien sur les films. À bord, nous étions « de service » 24 heures sur 24. Par exemple : en plein repas, s’il se passait quelque chose, il fallait y aller aussitôt. On abandonnait nos couverts pour sauter sur nos palmes, et, hop: immersion. Le cuistot avait des qualités de jongleur et parvenait à nous servir d’excellents plats en toutes circonstances.
En parlant du matériel utilisé, André Laban m’a confié qu’il était de deux sortes : « Il y avait le matériel utilitaire, et puis celui destiné à
« faire du cinéma ». Je veux parler du carénage en polyester jaune contenant, outre des bouteilles d’air comprimé, un téléphone sous-marin, une alarme, une radio de surface, et la batterie d’une lampe frontale fixée sur un casque. Le but était de rendre la silhouette du plongeur cinématographiquement esthétique et anonyme. Le montage des films s’en trouvait grandement facilité, mais tous les plongeurs préféraient la tenue habituelle, plus légère, moins encombrante, plus agréable à porter. Et que dire de cette espèce de groin-porte-micro à la place de l’embout buccal ? Combien de fois nous sommes nous réellement servi du téléphone sous-marin ? D’ailleurs, pas une seule fois je n’ai vu ce nouveau matériel utilisé par Cousteau, ni par son fils Philippe.» À ces confidences d’André Laban, j’ajouterais que Cousteau faisait exprès de porter une tenue différente des autres plongeurs pour être bien reconnaissable à l’écran. Sous l’eau, il gardait le plus souvent son bonnet rouge, ou rien sur la tête, laissant ses cheveux blancs bien visibles. Il ne portait parfois qu’un simple slip de bain alors que les autres plongeurs étaient tous vêtus d’une combinaison de néoprène. Ce petit côté « mise en scène » est bien pardonnable en regard de l’œuvre accomplie. Cela n’enlève rien aux qualités de l’homme, au pionnier qu’il est resté jusqu’à la fin. On lui doit quantité d’inventions. Son courage, sa ténacité, voire sa témérité, ont permis de grandes avancées dans le domaine de l’exploration sous-marine. J’ai quitté cette équipe hors du commun pour des raisons familiales, au moment où elle partait pour l’Antarctique réaliser le film « le voyage au bout du monde ».

 

"Mémoires de Plongeurs" c'est aussi un livre
(cliquer sur la photo)

Claude Lapeyre

 

 

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