UNE PLONGÉE PROFONDE
110 m (à l'air)
récit de Claude Lapeyre
Ibiza – jeudi 14 août 1975, au large de San Antonio de Abad dans le petit groupe des Islas Bledas
Plongeurs :
![]() Claude Le Duigou (Pépé) |
![]() Daniel Stévenard |
![]() Claude Lapeyre |
Résumé de la plongée:
profondeur: 110 m
durée: 15 minutes
temps de remontée et paliers: 50 minutes
Après plusieurs plongées entre 50 et 80 m, le long de la côte nord d’Ibiza, à la recherche de nouveaux sites, nous décidons d’explorer les tombants des Iles Bledas, sur la côte Ouest. Ce sera une plongée très profonde. |
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Depuis Cala Portinatx, nous transportons les Zodiac par la route jusqu’à Cala Basa,
à l’Ouest de San Antonio, pour éviter un long trajet en mer.
Là nous nous répartissons les bateaux en fonction du niveau des plongeurs.
Trajet en Zodiac depuis Cala Basa
Tandis que certains d’entre nous choisissent Bleda Plana,
nous plongeons sur la face Nord Ouest de l’îlot Redonda Este.
C’est là que j’ai repéré le plus grand tombant.
La plongée le long du tombant de Isla Redonda Este
Nous nous immergeons à 12 h. J’espère trouver du corail et j’ai emporté un marteau et un burin. La paroi est quasi verticale jusqu’à 60 m, puis elle s’incline pour prendre une forte pente pratiquement nue. Une mince couche de sable recouvre alors une roche dure. Nous suivons cette pente jusqu’à 80 m, et là, surprise : Oui, des laminaires, comme en Bretagne.
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Je n’avais encore jamais vu ce type d’algues en Méditerranée.
Ce sont des algues des mers froides.
Mais il faut dire qu’ici, à cette profondeur, il fait froid et sombre…
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Ou alors, c’est l’effet de la narcose, et j’ai des hallucinations?
Je jette un coup d’œil à mon profondimètre et je m’aperçois que l’aiguille est en butée à plus de 80 m.
Elle ne peut aller plus loin, même si nous descendons plus bas.
Je prends le poignet de Daniel Stévenard pour lire le sien, étalonné lui jusqu’à 90 m. L’aiguille aussi est en butée.
À quelle profondeur sommes nous?
Mon profondimètre (étalonné jusqu'à 80 m)
Je me tourne alors vers Claude Le Duigou qui utilise un profondimètre de la marine nationale qui va jusqu’à 120 m.
Nous saurons alors à quelle profondeur nous sommes.
Je lis « 110 m ».
Profondimètre de Pépé (étalonné jusqu'à 120 m)
Je redresse la tête, regarde mes compagnons à demi cachés par les laminaires.
Ils ne semblent souffrir d’aucun trouble.
Je ne ressens rien de spécial moi non plus, à part de grosses difficultés à réfléchir
(pas de phénomène de "prémonition" comme deux jours plus tôt à 80 m).
Claude Le Duigou "Pépé" entreprend de décrocher une grande laminaire.
Le temps passe.
Je fixe le cadran de ma montre, mais ne pense pas à donner le signal de la remontée.
Combien de temps peut-on rester ici ?
Il me revient alors à l’esprit que, passé les 100 m,
la pression partielle de l’oxygène contenu dans l’air de nos bouteilles
rend ce gaz toxique et le transforme en poison violent.
C’est le coup de fouet qui me fait réagir et je lève le pouce vers la surface,
m’assurant que chacun a bien compris, avant de commencer la remontée.
Quinze minutes se sont écoulées depuis que nous avons quitté la surface.
Nous décollons lourdement du sol qui s’estompe peu à peu, avalé par le noir.
L’aiguille de mon profondimètre ne bouge pas.
Elle reste collée à la butée, indiquant toujours 85 m.
Je saisis le bras de « Pépé » et lit 100 m.
Comment ? Nous ne sommes montés que de 10 m, alors que j’ai l’impression de palmer depuis des heures !
C’est trop lent.
Il faut absolument se dégager de cette zone crépusculaire
et gagner rapidement un palier de 50 m où nos idées seront plus claires et nos efforts récompensés.
J’injecte un peu d’air dans la bouée Fenzy en demandant à mes compagnons d’en faire autant.
Notre palmage devint alors efficace. Nous montons verticalement.
L’aiguille de mon profondimètre se décide enfin à bouger: 80 m, 75 m, 70 m. Lentement mais régulièrement...
Stabilisation et arrêt vers 45 m après une légère purge de la bouée.
Nous sommes en pleine eau.
Il nous faut maintenant retrouver la paroi et le bateau.
Boussole, direction Sud Est, tout en continuant notre lente remontée,
toujours en pleine eau, à une profondeur d’environ 40 m.
Après quelques minutes, la masse rocheuse de l’îlot sort du bleu.
Encore quelques coups de palmes et nous voilà le long du mur vertical.
Nous sommes encore à 30 m et nous distinguons le bateau là-haut avec son pendeur pour les paliers
et les blocs de sécurité accrochés à des bouts.
Mais plutôt que de rester suspendus sous le bateau,
nous préférons faire nos paliers en tournant autour de l’îlot.
Le temps semble moins long lorsqu’il y a quelque chose à observer, et ici ça ne manque pas.
J’en profite pour prélever avec le marteau et le burin un échantillon de roche: c’est du grès.
Pour les paliers, les tables françaises, s’arrêtant à 90 m,
j’utilise ce jour là les tables américaines :
1 minute à 15 m
3 minutes à 12m
4 minutes à 9 m
11 minutes à 6 m
26 minutes à 3 m
De retour à la plage de Cala Bassa nous faisons sensation avec la laminaire rapportée par Pépé.
Nous la posons sur le sable.
C' est la preuve que nous n'avons pas rêvé.
Il n'y avait pas de corail, mais
il y avait bien un champ de laminaires à 100 m de fond.
Les impressions et souvenirs de Daniel Stévenard sur cette plongée: |
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Je me souviens d'une chose qui m'a frappé:
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Difficulté au palmage : en me retournant je remarquais que nous n'avions pas trop progressé malgré l'effort de palmage ! Le retour: Nous n'avons vu que du sable (enfin moi bien sûr...) Daniel Stévenard
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Une plongée à plus de 100 m (à l'air) Détroit de Messine (entre la Sicile et l'Italie) - 06 juillet 1964
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"Je l'ai fait parce que je savais que nous allions, au cours d'une prochaine croisière, plonger à l'hélium et je voulais faire la différence entre une plongée à 100 mètres à air et une plongée à 100 mètres à l'hélium. Nous étions en forme, Coll et moi. Le commandant ayant trouvé au sondeur une roche à 70
mètres a fait mouiller une bouée. Notre descente a été prévue pour
le lendemain à 11 heures 30 au moment de l'étale, ce qui est très important
parce que le courant dans le détroit de Messine est violent. Coll et moi, nous descendons le long du nylon de la bouée dans une eau absolument limpide et très bleue. 90 mètres: C'est peut-être un coup de folie, mais pris par la narcose, pris par l'envie d'aller jusqu'au fond, ce jour-là je descends, je dépasse les 100 mètres : 109-110 mètres. Je n'ai pas de mal à faire les derniers 10 ou 15 mètres pour toucher le fond. Je fais signe à Coll qui semble lui aussi en bonne forme. Je me dirige vers des roches couvertes d'algues qu'agite un léger courant. J'essaie alors de sortir le burin de mon gilet et de m'en servir. Je me rends compte qu'il est impossible de casser la roche. Je sens que je m'approche du maximum d'ivresse supportable. Une dernière fois, je frappe sur le rocher : seules, quelques algues calcaires s'effritent sous les coups de marteau. Je suis incapable de briser le rocher lui-même : c'est un échec. Cette fois je comprends : je suis en pleine narcose, je commence à être terriblement atteint. C'est fini, il faut remonter. Je fais signe à Raymond qui est toujours à deux ou trois mètres au-dessus de moi. Néanmoins je veux ramener quelque chose du fond. Je décide d'arracher des laminaires au passage et j'arrive à les mettre dans le filet que j'ai heureusement amarré au nylon que Coll a gardé dans sa main. Je donne un coup d'œil sur ma montre : 5 minutes 30 sont passées. Il faut gagner quelques mètres en hauteur et vite. Le nylon fait une grande boucle et se dirige vers les grands fonds. Les battements de mon cœur s'affolent. Je sais qu'il faut remonter de quelques mètres pour retrouver notre calme. Je fais signe à Coll et j'accélère mes mouvements de palmes. Il me suit. Nous revenons rapidement à 40 mètres. Et j'aperçois en surface Bernard Delemotte. Par signes il nous montre l'emplacement de la bouée. Nous nous dirigeons aussitôt sur elle et commençons nos paliers. J'ai alors le temps de penser à notre aventure qui, il faut le dire, était un peu folle. Mais depuis longtemps j'avais le désir de savoir quelle serait ma réaction devant ce mur des 100 mètres. Pendant ces paliers nous avons vu les longues laminaires, que je portais dans mon sac et que j'en avais sorties, onduler dans le bleu de la mer. C' était la preuve que nous étions allés jusqu'au fond. Seule, la dureté de la pierre ne nous avait pas permis de ramener des échantillons de roches." |
Commentaires de Claude Lapeyre:
Cette exploration de la profondeur, Notez les similitudes.
Une plongée profonde se prépare soigneusement.
Au cours de cette plongée,
Falco a commencé à ressentir Surmontant sa narcose, il se laisse couler jusqu'à 110 m. À cette profondeur, les gestes sont imprécis:
Chez Cousteau, les plongeurs n'étaient pas équipés de Fenzy Comme pour notre plongée à Ibiza, ils remonteront en pleine eau
Comme pour notre plongée à Ibiza, ils remonteront des laminaires, ces longues algues brunes qui poussent dans ces profondeurs.
Comme pour notre plongée à Ibiza, il voulait savoir J'ai eu le plaisir de plonger avec Albert Falco en 1972. "Mémoires de Plongeurs" c'est aussi un livre |
Voir le film "Au-delà des limites":