IVRESSE DES PROFONDEURS
(les effets de la narcose)

Une plongée à 80m

Récit de Claude Lapeyre

Ibiza – au large du Cap Charraca
mardi 12 août 1975
Plongeurs : Claude Le Duigou, Daniel Stévenard, Bernard Cusenier, Claude Lapeyre

Résumé de la plongée:
profondeur: 80m
durée: 15 minutes
temps de remontée et paliers: 42 minutes

Depuis le début de la saison, nous enchaînons les plongées profondes quotidiennes.
Chaque jour, c'est -50m minimum, mais souvent -70m, voire -80m.
Nous connaissons donc tous les jours la narcose,
« l’ivresse des profondeurs »
dont a parlé très tôt le Commandant Cousteau qui rapporte dans son livre « le monde du silence » des épisodes tragiques liés à ce phénomène : perte du raisonnement, perte de connaissance entraînant la noyade.
 

Claude Lapeyre

Daniel Stévenard
 
Conscients du danger, c’est chaque fois avec prudence que nous franchissons la barrière des 50m qui marque, pour la plupart d’entre nous, les débuts des premiers troubles.
Cette limite varie selon les individus.
Certains sont narcosés dès les 40m, d’autres pas avant 60m, et cela avec des degrés d’intensité variables liés à la fatigue, à l’effort fourni sous l’eau, à l’état psychique, ou à l’entraînement.
Car il est vrai que, comme pour l’alcool, il existe une sorte d’accoutumance à cette « ivresse ».
Avec l’habitude, on sait vers quelle profondeur les premiers symptômes apparaissent.
On y est attentif et dès leur apparition, sachant qu’on est « bourré »,
on se maîtrise et on essaie, dans la mesure du possible, de se concentrer sur chaque geste afin d’éviter que notre esprit embrumé ne nous fasse commettre une erreur fatale.
L’ivresse des profondeurs possède sur l’ivresse de l’alcool l’avantage de n’avoir pas de suite. Dès que le plongeur intoxiqué remonte de quelques mètres,
son cerveau s’éclaircit sans laisser la « gueule de bois ».
J’avoue en aimer la magie et en même temps, je la redoute
car je sais qu’elle amoindrit dangereusement l’instinct de conservation.
Pour certains, les effets se manifestent par des troubles auditifs (bruit de cloches sonnant à la volée – sifflet de locomotive) , pour d’autres une angoisse insurmontable qui les conduit à tout larguer pour en sortir.
 
claude le duigou
Claude Le Duigou

Bernard Cusenier
 
Pour moi, les troubles sont surtout visuels (objets déformés), olfactifs (goût métallique dans la bouche) et, curieusement, l’installation d’une fonction prémonitoire extraordinaire.
J’ai vraiment pris conscience de ce phénomène lors de cette plongée profonde
du jeudi 14 août 1975, au large du Cap Charraca, à Ibiza.

Ce jour-là, donc, nous cherchons de nouveaux sites de plongée.
Nous descendons sur le bout de l’ancre qui pend à 5 mètres au dessus du fond
et nous y restons accrochés en nous laissant dériver avec le bateau,
espérant découvrir quelque roche inconnue.


Après quelques minutes, pour explorer une zone plus importante,
j’attache un autre bout au premier, et je le dévide en m’éloignant, avec Daniel Stévenard,
tandis que les deux autres restent pendus à l’ancre.
Profondeur : 80m.

 

C’est alors que tout commence, peut-être à cause de l’effort produit pour palmer à cette profondeur sans doute :
je me trouve tout à coup doté de facultés de prémonition hyper développées.
Je vis le futur plusieurs secondes à l’avance, connaissant l’évènement avant qu’il ne se produise.

Ainsi, je regarde nos deux compagnons que nous avons laissé, à la limite de la visibilité, suspendus au mouillage et je pense : « Bernard va nous faire un signe de la main ». Et en effet, 3 secondes plus tard, c’est bien Bernard Cusenier et non pas Claude Le Duigou, qui nous fait un signe de la main. Sans bien réaliser ce qui vient de se passer, je me dis « Daniel va m’appeler » et en effet, 2 secondes après, il hurle dans son détendeur pour attirer mon attention sur une roche à l’aspect curieux.


Sur le coup, je n’y fait pas attention et nous allons voir cette roche de plus près.
C’est en revenant vers le mouillage qui pend toujours quelques mètres au dessus du fond,
que je prends conscience de ce qui se passe.

Je pense « le bout va s’emmêler » et en effet quelques secondes plus tard
il s’emmêle et nous avons affaire à un beau sacs de nœuds.
J’essaie de défaire les nœuds tout en continuant à « voir » l’avenir.
Je pense : « Daniel va me l’arracher des mains » - et en effet,
il m’arrache le bout des mains 3 secondes plus tard.
Je pense « il n’y arrivera pas non plus » et en effet il n’y arrive pas.
Je pense : « il va faire un bras d’honneur et abandonner » et il le fait 3 secondes plus tard.
Je pense : « il va prendre mon poignet pour lire le profondimètre »
et il le fait dans les secondes qui suivent.
Je pense : «je vais trouver un spongiaire orange » et en effet, en continuant à dériver, nous survolons une petite roche plate et j’y ramasse un long spongiaire orange...

Bizarre non ?

 

Nous venons de passer 15 minutes à 80 m. Il est temps de remonter.
Durant toute la remontée qui durera 42 minutes, avec des paliers à 12m, 9m, 6m et 3m, j’ai le temps de réfléchir à ce qui s’est passé.
Je ressens ce phénomène chaque fois que je depasse 70 m.
Est-ce vraiment de la prémonition ou bien les évènements étaient-ils faciles à prévoir ?
Pour le bout emmêlé et les nœuds impossibles à défaire, d’accord, c’était prévisible ; ça arrive souvent qu’un bout s’emmêle.
Mais pour le signe de la main ? le bras d’honneur ? le profondimètre ?
A moins que… Tous ces évènements se sont peut-être produits avant que mon cerveau ne les enregistre.
Les images seraient simplement arrivées avec retard à ma conscience .
Les évènements se passent en temps réels, je les « vois », mais l’image est perçue avec retard sous l’effet de la narcose.
Il n’y aurait donc pas de prémonition.
Alors ? Si quelqu’un a une explication, je suis preneur.

 

Commentaires de Bernard Cusenier:

"Je ne crois pas à la prémonition mais a une lenteur de la compréhension.
Les deux plongeurs les plus calmes dans la vie sont restés à l'ancre,
les deux plus nerveux étaient plus nerveux encore, et s'occupaient."

Ce type de plongée profonde nous permettait, de faire par la suite,
de l'encadrement à quarante mètres sans risque de narcose.

Les nouveaux encadrants d'aujourd'hui vont vouloir nous passer une camisole vu les normes actuelles de plongée .
Nous plongions avec
des profondimètres non fiables,
un seul détendeur (un mistral),
une bouée sans direct-système,
pas de lampe,
pas d'ordinateur,
pas d'O2,
une assistance surface dérisoire en cas de problème,
des secours très lointains en pays étranger,
etc...

Les temps ont bien changés.
Avons-nous eu beaucoup de chance au cours de ces nombreuses plongées?

 

 

 

Toujours au sujet de la nacose, voici un récit de Christian Chapuis:


Christian Chapuis

Il s'agit d'une plongée effectuée au Soudan en 2016 avec le bateau Baron Noir,
un jour de janvier tôt le matin ( 7h 30 )

 
Le Baron Noir

Le site de plongée est un récif coralien 25 km au large de Port Soudan sur Sanganeb National Park.

L’atoll de Sanganeb est la seule structure de type atoll de la mer Rouge

Sanganeb se situe au Nord Est de Port Soudan


Après quelques journées passées à plonger à plus de 100 m à l’air,
avec un bon copain à qui j’avais fait faire sa première 100 m en début de séjour,
je décide pour le dernier jour de la croisière,
de m’immerger encore une fois à plus de 100 m avec le matériel suivant :

un bloc de 15 litres gonflé à l’air, à 200 bars.
un détendeur emprunté à mon club associatif 
(donc un détendeur «  piscine » piston simple pas compensé !
Et surtout pas révisé depuis plusieurs années)
Pas de bloc de secours au palier (pour décompression)
Pas de phare (je n’y allais pas pour faire de l’explo ...
pas le temps...juste un touch and Go à cette profondeur et avec ce matos)
Il s’agit juste d’une dégringolade solo jusqu’à 122 m !

   Oser descendre….Savoir remonter !
À savoir que je descends sans bout …

Carte des fonds marins et des différents tombants


Je passe un premier petit tombant en quittant la profondeur de 40m et en y laissant mon pote qui suit la palanquée partie rechercher les requins.
Je me retrouve à 70m.
Passant un autre petit tombant, je me retrouve à 90 m au seuil du tombant de 800 m, le plus profond de mer rouge : le Sanganeb !
Je reprends la descente et …puis … plus rien ! !
Savoir comment j’ai pu remonter ?  Je ne sais pas.
Ai-je eu une perte de connaissance due à la Narcose ?

 Remonté à 60 m, j’ai l’impression de revenir à moi ! De me réveiller.
Je regarde aussitôt mon mano.
Il ne me reste que 40 à 50 bars, alors que j’ai 50 minutes de paliers à faire.
Cela fait 30 minutes que j’ai quitté la surface !
Là, toujours à 60m, je vois un copain qui remonte de 80 m
après avoir fait quelques exercices avec un autre plongeur qui lui validait son N3 / PA 60
(nous sommes nous-même moniteur) .
Il sent que quelque chose ne se passe pas bien …
J’ai à peine le temps de me retourner qu’il me présente son détenteur de secours.
Je commence alors mon premier palier de 2’ à 12 m mais, lui aussi ayant des paliers à faire,
il décide de faire surface pour faire signe de détresse au Zodiac .
Il faut préciser qu’ il a le cœur fatigué
(il a déjà fait un malaise cardiaque sur le Donator en Méditerranée).

Or, depuis le début du séjour, les deux zodiacs ont des problèmes moteurs.
Une fois les plongeurs largués à plusieurs nautiques du bateau mère, ils dérivent souvent.
Donc, à son retour en surface : pas de pneumatique en vue !
De plus, nous sommes en janvier, au Soudan certes, mais la mer est vive,
le plafond bleu encre et nous sommes tôt le matin !
Il redescend vers moi et me fait signe de la tête : il n’y a RIEN !
Une grande détresse m’envahit alors…

Mais dans cette aventure j’ai une chance qui m’a sauvé la vie,
c’est d’être revenu à mon point d’immersion où tout le monde revient naturellement.
S’il y avait eu du courant j’étais mort !!!!
Car, toute la palanquée laissée à 40 m revient
et chacun à leur tour me donne du gaz …
jusqu’au retour du Divemaster  qui arrive à trouver un zodiac
et qui me descend un bloc de 12 litres d’air avec une corde que j’attache au rocher !!
  Tout s’est bien fini !!!!
Et pourtant c’était une belle journée pour mourir !
Comme disait un bon copain : "descend qui veut…remonte qui peut ".

 

Commentaires de Claude Lapeyre

Ici, comme pour d'autres croisières,
les plongeurs sont censés être totalement autonomes et responsables.
Il n'y a pas d'encadrement prévu en plongée.
À vous de refuser les profondes si ça ne vous dit rien. Rien ne vous oblige non plus à faire 3 plongées par jour; elles sont proposées c'est tout.
Les plongeurs doivent être réellement autonomes
(orientation, décompression, etc...)
C'est ce qui a permis à Christian de faire sa plongée seul.
Le Parc national s'étend sur une superficie de 12 km²,
au centre de la mer Rouge, la plus chaude et la plus salée des mers du monde. Il est cerné de tombants vertigineux de plusieurs centaines de mètres de profondeur (voir carte plus haut).
Tant au nord qu'au sud, les deux plateaux sont exposés aux courants,
ce qui réserve aux bons plongeurs de belles rencontres.

 

A lire aussi à propos de l'ivresse des profondeurs:

"3 plongeurs portés disparus"

 

Retour au sommaire

 

Pour nous écrire:
cliquer pour nous écrire

 

 

 

 

 

référencement gratuit
•  référencement  •    positionnement    •  référencement manuel professionnel discount  •
annuaires et moteurs
positionnement publicitaire
magazine - referencement