Danse avec les requins
à Fakarava
par Pierre
Sagant
DANCING WITH THE SHARKS A FAKARAVA: |
||
Si demain , les jeux
olympiques des plus belles destinations plongée étaient créés, nul doute
que la Polynésie constituerait une des plus importantes délégations. Emmenée par ses champions historiques -Moorea et son feeding, ou Rangirora et sa grotte -une vingtaine de sites pourraient représenter la centaine d'îles des 5 archipels qui couvrent un territoire aussi grand que l'Europe en plein milieu du pacifique. Mais les anciens champions à la réputation sûre , ferraient bien de se méfier de la dernière star naissante dont les recruteurs - pionniers des nouvelles destinations- disent qu'elle sera la championne de demain. Son nom: Tuamotu (du nom du plus grand des archipels de la Polynésie), son prénom: Fakarava , désignant le nom de cet atoll géant , situé à 250 milles au nord est de Tahiti; 100 milles à l'est de Rangirora , sa grande soeur. |
||
DANCING WITH THE SHARKS A FAKARAVA:
Arrivé par l'avion quotidien de Papeete, nous découvrons d'en haut notre nouveau
terrain de jeu qui nous parait immédiatement immense.
Fakarava représente l'atoll typique , avec son lagon intérieur couleur bleu
carte postale, et son anneau de corail concentrant la vie humaine. Ce lagon
là est immense , plus de 1000 km2 , encerclé par une barrière composée de
milliers de "motu" (îlots ) où les cocotiers représentent l'exception verte.
Avant de poser nos roues sur le bitume , notre œil vif de chercheur d'or a
repéré la plus belle des mines: la grande passe situé au nord de l'atoll ,
proche de l'aéroport et du village principal. C'est là que l'on nous a prédit
de voir en une plongée la version " remastérisée avec make of " du film retraçant
nos 10 années de mer rouge , Maldives, Indonésie, Caraïbes ou océan indien
. Tout cela parait un peu extravagant et notre impatience grandit pour aller
vérifier que la mariée est aussi belle que rêvée.
Sur place notre guide s'appelle Jean-Christophe Lapeyre . Arrivé sur l'atoll
il y a 3 ans , marié à une tahitienne , possédant tous les diplômes qu'il
faut pour " frenchies ou Padistes " Jean Christophe est devenu le maître de
la plongée à Fakarava. Son premier centre fut installé sur la passe sud (
2 heures de bateau de l'aéroport); puis JC est venu mouiller son bateau ultra
moderne sur la passe nord devenue son jardin privé.
AU GRE DU MASCARET:
Fakarava représente la plongée type de la passe d'un atoll. L'intérêt ne se
trouve pas à l'intérieur (du lagon ) , ni à l'extérieur mais au milieu. Ici
, la mer a des allures de Bretagne avec ses marées de 6 heures pendant lesquelles
le courant remplie ou vide l'immense étendue d'eau que représente le lagon
.Principe commun a tous les atolls coralliens du pacifique ou d'ailleurs ;
mais la différence majeure réside dans la largeur de la passe nord (1,6km
de large ) , ce qui agrandit considérablement le terrain de jeu par rapport
aux autres passes existantes .Cette qualité géographique naturelle a une conséquence
immédiate : quelle que soit l'heure ou l'époque , la passe a des allures de
congrès mondial des poissons. C'est presque l'embouteillage de nos autoroutes
un jour de départ en vacances.
Le principe de la plongée consiste à descendre un peu l'extérieur , de tomber
sur la fracture océanique (quand elle existe ) et de dériver dans des courants
rentrants plus ou moins forts jusqu'à l'intérieur du lagon pour finir et dégazer
sur des platiers tout aussi surpeuplés. Bien évidemment cela n'est possible
qu'à marrée montante (courant rentrant); sinon la plongée s'effectuera uniquement
sur les abords intérieurs de la passe , en évitant soigneusement d'aller se
perdre au milieu de celle ci , là ou courant sortant et houle du large s'affrontent
violemment et forme le mascaret- une immense cacophonie de clapot , marches
d'eau , courants descendants ou contraires .
Durant ces heures , le mascaret rend l'accès quasiment impossible aux baignades
, voir par gros temps à toute sortie de l'atoll. Ainsi le mascaret rythme
sens et heures des plongées et révèle une technicité de la plongée que le
bleu azur du lagon rend insoupçonnable. La passe nord , sous ses allures d'enfant
sage et obéissant demande assurément une très bonne maîtrise de la dérivante
, et une connaissance parfaite du site.
Autre particularité unique: la passe ne présente pas vraiment de fracture
océanique , généralement présente dans les passes des atolls. Ici , au sortir
du lagon , un semblant de mur sur toute la largeur remonte doucement vers
l'intérieur mais plonge immédiatement vers des profondeurs interdites à "
l'homme-bouteille " (3 000 metres).
La présence de courants et contre-courants oblige à une vigilance permanente
pour ne pas être emporté vers un voyage dangereux. Heureusement la très grande
superficie du terrain permet beaucoup d'itinéraires de délestages parfaitement
sécurisés , et ne lasse pas celui qui veut voir du pays.
PLACE DE LA CONCORDE, JOUR DE DEFILE:
Ce sont ces conditions géologiques uniques qui permettent à cette passe d'être
un véritable bottin mondain de tout ce qui nage dans le pacifique , du poisson
clown par douzaine aux gros pélagiques par palanquées de dix.
Un fois lâchés dans le bleu transparent de la passe , jour de rentrant , la
première descente en pleine eau nous indique ce courant qui va nous driver
à son rythme. Immédiatement , nous avons l'impression de pénétrer un amphithéâtre
ou se joue un classique de l'opéra . Silence, les pélagiques tournent!. On
ne sait si c'est une répétition classique , ou s' ils nous ont attendus pour
nous offrir une avant première. Accrochés au premier caillou qui passe (vers
35 mètres ) , nous pouvons contempler les pas et sauts de centaines de requins
, barracudas , dauphins, qui composent le corps principal de la troupe . Ici
les raira (requins gris de récifs ) donnent la réplique à des pointes blanches
pour une balade endiablée. Au delà, les océaniques (pointes blanches , soyeux)
ne se mélangent pas à la troupe et paradent fièrement la tète haute sans se
soucier de nous .
Parfois dans un coin de la scène, une troupe
de dauphins nous interprètent leur ronde favorite tournoyant de bas en haut
avec la grâce d'une ballerine; ils attirent l'oeil et on ne peut s'empêcher
de vouloir participer à ce jeu bien trop dynamique pour nos capacités aquatiques
. Au dessus d'eux , les bancs de barracudas resserrent les espaces pour nous
prouver que les requins ne sont les seuls acteurs de ce spectacle. Parfois,
mais c'est un privilège rare , une star (les gros et solitaires marteaux,
ou tigres, remontés des profondeurs) vient faire une démonstration, pour notre
bonheur , même si un profond sentiment de peur et d'impuissance se mêle à
ce moment unique .
Mais bientôt , nos ordinateurs sonnent l'entracte .Nous lâchons notre cailloux
et nous laissons emporter par le jus qui nous oriente vers le sortie du théâtre.
Au delà du mur , le relief du fond qui remonte vers la zone des vingt mètres
ressemblent aux défilés des îles volcaniques .De nombreux canyons au dessus
desquels nous volons comme l'homme araignée, rendent la remontée excitante.
Nous pénétrons dans un nouveau monde , encore plus peuplé que le précèdent.
C'est ici le début du centre ville d'une métropole ou cohabitent les coralliens
et les pélagiques.
Certes, Fakarava n'est pas l'unique lieu de domiciliation des napoléons ,
mérous, loches, perroquets, carangues, bonites, anges ou demoiselles (pour
ne citer que les plus importantes populations ) mais leur nombre, et parfois
leur corpulence bien au dessus de la moyenne, nous rappellent la richesse
de nos civilisations anciennes disparues: la lumière des Incas, l'ordre de
Rome, la puissance d'un Pékin impérial.
En dessous, l'atoll nous a révélé également ses fondements. Le corail formé
depuis des siècles a poussé sur toute l'entendue du site. Peu d'espace de
sable entre les milliers de patates colorées abritant la faune corallienne
(murène , crustacés,) . Parmi nous , certains érudits affirment qu'il ne manque
que les gorgones pour référencer ce qui existe en matière de corail mondial
, y compris du corail mou qui cache toutes sortes de coquillages.
Soudain , après avoir suivi plusieurs canyons , nous tournons à droite et
accédons sur une place qui nous servira d'ultime arrêt avant le retour au
monde de l'air libre. Sur cette place , nous avons droit au bouquet final
d'un feu d'artifice. On dirait la place de la Concorde le jour de défilé national:
devant nous des bancs de majors jaunes et de papillons mauves forment des
immenses bataillons tellement immenses que l'on a l'impression que la couleur
de l'eau change. Au dessus d'eux , tels la Patrouille de France les pointes
blanches associés à des napoléons obèses survolent avec agilité nos bulles
d'air. Plus tard une raie manta viendra se mêler avec nonchalance à la foule.
Bien malheureusement nos manomètres nous rappellent à nos devoirs de terriens,
et avec beaucoup de regrets nous remontons à la surface où, sans aucun problème,
notre taxi nous attend pour rentrer au port. A chaque fois un sentiment de
joie enfantine mêlé à une frustration de ne pouvoir en profiter plus.
USHUAIA NATURE EN TOURNAGE:
Fakarava nous a révélé ses secrets , et au dire de son grand prêtre (Jean
Christophe) , cette cathédrale possède assez de trésors pour occuper les fidèles
pendant de nombreuses plongées. Cela semble naturel quand on connaît
le potentiel du pacifique Les nombreux atouts de cet océan chaud inconnu de
la mondialisation industrielle expliquent naturellement la diversité et la
richesse de la faune et de la flore.
Mais Fakarava , grâce à ses atouts géologiques et son développement touristique
tardif a du recevoir la bénédiction des dieux. Les croisiéristes qui tournent
aux Tuamotu (Nemo, Archipels, Aquatiki) en on fait une escale obligée , autant
par la qualité du site aquatique que par la tranquillité de la vie à terre.
Reconnaissance suprême, la présence au mois d'avril de toute l'équipe d'
Ushuaia Nature venue finaliser un reportage commencé à Hawaï. Nicolas
Hulot a eu sans doute vent de la réputation grandissante de ce site, et pour
satisfaire ses téléspectateurs avides d'images uniques, il a choisi Fakarava
et sa passe nord pour illustrer un reportage retraçant la naissance des atolls,
depuis l'émergence des îles hautes volcaniques en passant par l'effondrement
de certaines d'entre elles, il y à 5 millions d'années, ce qui a donné naissance
aux atolls à la géographie si particulière. Les équipes de eauseableue production,
en charge des images sous marine ont pu trouver les conditions idéales pour
filmer tout ce qui fait de Fakarava un élève surdoué pour la télévision: la
densité exceptionnelle du corail qui s'explique par l'absence d'écoulement
d'eau géologique (pas de nappes contrairement aux îles hautes telles Tahiti
ou Moorea) la très grande profusion de requins (indispensable pour l'audimat),
et d'autres pélagiques, grâce à la largeur de la passe et enfin la
tardive ouverture au grand public de cette destination méconnue par rapport
à la vielle Rangirora ou la controversée Mooréa. Parmi l'équipe en place,
un biologiste qui pourra témoigner que ce corail n'a pas encore été empoisonné
par El Nino. Mais le vent est en train de tourner.
L'Atoll est relié désormais quotidiennement par un avion de Papeete et l'ouverture
d'un hôtel d'une cinquantaine de lits en juillet prochain viendra pallier
la faible capacité actuelle des pensions. Le privilège de plongées quasiment
intimes, maîtrisées par la présence d'un seul expert du plan d'eau, risque
de rendre obligatoire la réservation. Un deuxième bateau sera à l'eau pour
satisfaire ceux qui auront le privilège de pouvoir se payer un billet d'entrée
et Fakarava pourra assumer son rôle désormais de favori dans la course à la
médaille d'or des plus beaux sites de plongées.
Nicolas Hulot sur le
"Topikite" , le bateau du centre de plongée
Te Ava Nui à Fakarava.
référencement gratuit |
annuaires et moteurs |